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Économie

Tout est-il à vendre?

Jacques Parizeau, économiste et auteur

La concentration des entreprises s'accélère un peu partout. Au Canada, par exemple, la plupart des grandes sociétés minières et métallurgiques sont disparues de la Bourse (ou vont disparaître incessamment). Falconbridge, Inco, Alcan, les aciéries sont devenues propriétés étrangères. Qui sont les acheteurs? Des ­producteurs, bien sûr : une aciérie en achète une autre, ou une banque en acquiert une autre. Mais de plus en plus de grands groupes financiers se forment qui, seuls ou avec d'autres, acquièrent des entreprises en tous genres : des fonds de pension, des hedge funds, des banques d'investissement, des fonds d'actions... les acheteurs financiers prennent bien des formes. Dans un bon nombre de cas, on ne sait pas grand-chose de leurs opérations. Un nombre croissant de ces fonds sont créés par les gouvernements, ou alors ceux-ci y achètent une participation importante.

Les plus gros semblent s'approcher de 1000 milliards de dollars. Au Québec, le plus imposant est, bien sûr, la Caisse de dépôt et placement, qui gère 250 milliards de dollars (fin 2006), c'est-à-dire un peu plus de 30 000 dollars par habitant.

Pour la plupart des gens d'affaires, des économistes et des commentateurs, la mondialisation et la disparition des barrières commerciales et financières retirent graduellement aux entreprises leur nationalité. Le capital est investi là où il rapporte le plus et là où les perspectives semblent les meilleures. Les gouvernements sont habituellement plus récalcitrants que les milieux d'affaires. Depuis toujours, pour des raisons de stratégie ou de défense nationale, ils n'autorisent pas l'achat par l'étranger de certaines entreprises nationales. On vient encore d'en avoir un exemple aux États-Unis, où le Congrès a fait comprendre qu'il ne laisserait pas la Chine acheter une grande société pétrolière américaine.

De façon générale, ce qui intéresse les gouvernements, ce sont les centres de décision et ce qui les accompagne, c'est-à-dire non seulement le siège social, mais aussi les services informatiques centraux et, souvent, la recherche et le développement. S'ils ont longtemps eu recours à la nationalisation, ils ne s'en servent plus guère. Ils ont compris que, lorsque le capital est dispersé, un bloc d'actions même très minoritaire est un instrument d'orientation plus simple et plus souple. Et puis, il y a la réglementation, qui limite le droit d'un actionnaire de posséder plus qu'une certaine proportion des actions et ce que les actionnaires étrangers peuvent ensemble obtenir. Margaret Thatcher, on le sait, a lancé un programme de privatisation des sociétés d'État qui a été beaucoup imité. Elle a aussi créé la golden share, propriété de l'État qui a préséance sur les autres actions en cas de vente de l'entreprise ou de modifications de son orientation. La formule s'est vite répandue. Dans plusieurs États américains, on protège les entreprises contre la prise de contrôle hostile. Dans plusieurs pays, on a créé des bureaux dont l'autorisation est requise pour qu'une compagnie étrangère puisse acheter une compagnie ­nationale. Et, finalement, il y a toujours le geste du Prince, le coup de poing sur la table.